INTERVIEWS

GLENN LE BRAS, PHOTOGRAPHE

Glenn Le Bras est un photographe breton que j’ai connu à la faculté de Quimper pendant mes études d’Histoire de l’Art. Nous poursuivons ensuite notre cursus chacun de notre côté. Plusieurs années plus tard, nos destins se croisent à nouveau : Glenn m’exprime le souhait d’exposer ses photographies dans un centre culturel dans lequel je travaille. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à suivre son travail et à découvrir ses sublimes portraits et photographies de paysages. 


Bonjour Glenn, quel est votre parcours et comment êtes-vous venu à la photographie ?

Bonjour, je m’appelle Glenn Le Bras, je suis né en 1989 à Morlaix dans le Finistère. J’ai passé mon enfance entre le Léon et la Cornouaille en passant par les monts d’Arrée, au bord de la mer donc, mais aussi dans la ‘montagne’ et la campagne bretonne.

 

Passionné de dessin, de langues et de sports aquatiques, étudiant à Brest, à 20 ans je pars 2 mois au Mexique dans l’état de Oaxaca, pour défier les vagues du pacifique. Ce premier voyage de longue durée marque le point de départ de ma passion pour l’Amérique latine, les civilisations précolombiennes, la faune et la flore exubérante, ainsi que les peuples qui la composent. Après un bac+5 en management culturel et un nouveau séjour mexicain  de plusieurs mois, je pars travailler un an et demi à Madrid afin de parfaire mon espagnol avec l’objectif de découvrir l’Amérique du Sud.

 

En 2016 nous parcourons pendant 4 mois les routes des Andes, depuis le Pérou jusqu’en Colombie, avec Priscila, une amie argentine et péruvienne qui était ma colocataire en France. 

Premiers contacts avec l’altitude, la haute montagne ainsi qu’avec les communautés andines. La découverte des communautés Andines a été un déclic car quelques mois plus tard je reviens m’installer à Cusco pour travailler dans différentes agences de voyages pendant plus d’un an. L’héritage culturel et les paysages me fascinent et c’est après quelques mois de dur labeur et de problèmes de santé que je peut enfin acheter mon premier appareil photo reflex.

 

Je photographie d’abord la montagne, la connaissance du milieu naturel est un moyen pour moi de comprendre la mythologie et la culture Inca. Je commence sans apprentissage technique, sans notions de composition, sans connaître l’histoire de la photographie ou de ses principaux auteurs. Je photographie car la richesse et la vitalité de cette culture me surprennent et m’interpellent, j’ai envi d’en savoir plus, de m’en rapprocher, je m’installe alors chez une famille à Cusco. La pratique photographique m’ouvre des portes, elle me permet de faire partie d’une confrérie de « ukukus » lors d’un pèlerinage au Sud de Cusco, m’envoi couvrir les fêtes traditionnelles aux mois de juin et juillet, créer de nouvelles routes de trekking ou photographier les habitants de certaines zones très hautes en altitude.

Ces 6 derniers mois au Pérou sont le début de mon aventure de photographe, des passages par le Brésil et la Bolivie m’ont donné envie de reprendre la route, je regagne donc la Bolivie par la route. Le froid et l’altitude ont encore une fois raison de mon système digestif, déjà fragilisé une première fois au Pérou. Il est temps de m’envoler pour le soleil du Brésil, un pays que j’ai découvert par la musique et dont je veux apprendre la langue, pays que je veux découvrir depuis mon premier voyage sud-american mais qui pour d’étranges raisons je n’ai visité que deux semaines dans les hôtels  luxueux du groupe Belmond. Je passerais 4 mois au Brésil chez des amis, des amis d’amis, entre les états de Sao Paulo, Rio et Bahia, en auto-stop, toujours l’appareil au cou malgré l’insécurité du pays.

"Dia da consciência negra"


Quel message, émotion, souhaitez-vous faire passer à travers l'œuvre «Dia da consciência negra, Salvador, Bahia » ?

Le Brésil est le pays ayant reçu le plus grand nombre d’esclaves noirs et notamment la ville de Salvador dans l’état de Bahia. « Dia da consciência negra » signifie « le jour de la conscience noire », c’est un jour férié dans certaines villes brésiliennes, mais pas à Salvador. Symbole de la lutte contre l’esclavagisme dans un pays en proie au racisme ou avoir des cheveux crépus est toujours une source de discrimination, le jour de la conscience noire est une journée de manifestations sociales et culturelles.

Je me trouvais à Salvador de Bahia le samedi 20 novembre 2017, quand je suis tombé nez à nez avec cette afro-brésilienne, le regard fermé, devant le musée de la miséricorde dans le centre de Salvador. Elle était peinte de blanc et de rouge rappelant l’oppresseur blanc maculé de sang. Les mois passés à Bahia m’ont fait prendre conscience qu’au 21 ème siècle, même dans une grande ville brésilienne dont la majorité des habitants est d’origine africaine, le racisme persiste et les inégalités touchent toujours les personnes dont la couleur de peau est la plus foncée. 

J’aimerais que les gens prennent conscience que le ‘vivre ensemble’ est possible et que l’on tende vers un système plus égalitaire et non plus une société dominée par l’homme blanc.


Le Pérou est très présent dans votre travail. Quel est votre rapport à ce pays ?

Le Pérou et plus précisément les Andes autour de Cusco où j’ai vécu une année et demie ont fait naître ma passion pour la photographie et le voyage à pied jusque dans les communautés les plus reculées. La partie andine a retenu tout particulièrement mon attention car la culture précédant la colonisation a survécu malgré l’extermination ethnique. L’aspect polythéiste et païen, le rapport à la terre et la nature de cette société principalement agraire me font 

étrangement penser à la Bretagne d’antan et des légendes, une culture également orale qui a fortement décliné et dont l’annexion à la France coïncide en terme de dates avec la conquista. Il y a aussi la langue, le quechua, langue officielle parlée dans plusieurs pays par des millions de personnes, cette langue présente partout dans le patrimoine local me rappelle Le Breton et les lieux de mon enfance.

Je suis toujours en contact avec un grand nombre de personnes à Cusco et Lima, pour y avoir passé près de 2 ans au total. C’est un pays qu’il me reste encore a découvrir car je n’en connais qu’une petite partie, tout comme la Bolivie, j’espère y retourner bientôt, pour y découvrir l’Amazonie.


Quelles sont vos influences et inspirations artistiques ?

Mes influences sont multiples, chez les photographes elles vont de Martin Chambi à Khalik Allah en passant par Pierre Verger, Susan Meiselas, Sabine Weiss, Luis Fabini et Pierre Le Gall pour ne citer qu’eux. Beaucoup de noir et blanc, les gens, la vie, un style documentaire humaniste. Je suis également inspiré par les impressionnistes et les surréalistes pour leurs paysages. J’aime le graffiti depuis que je suis adolescent ainsi que l’art de rue en général pour son aspect dénonciateur et par sa capacité à s’affranchir des règles. En ce qui concerne la musique, j’aime écouter des musiques traditionnelles et leurs paroles sont une « mine d’or » quant à l’argot, les lieux et la culture d’un pays.


Quelle est votre façon de travailler ?

J’aime prendre mon temps, à la seule différence du Guatemala où je suis resté 3 semaines, je reste au minimum 1 mois sur place, chez l’habitant, de préférence loin du centre historique et des principales zones touristiques. J’essaie de voyager lentement, je ne cherche pas à collectionner des clichés mais à rencontrer les populations et apprendre de leur mode de vie. C’est ainsi que j’essaie de donner ma vision de la vie dans un pays, et le temps est je pense la clé, afin de déconstruire les idées préconçues.

Pour l’aspect technique: je travaille en lumière naturelle au plus près de mes sujets.


Quel matériel utilisez-vous ?

Je travaille avec un reflex Nikon D750 pour la prise de vue et un ordinateur pour l’édition.


Trois mots qui décrivent votre travail ?

Spontanéité, rencontre, social.


Quels sont vos projets futurs ?

Actuellement je collabore avec l’association AIDes et le Caarud sur l’utilisation de la photographie comme moyen d’accompagnement des usagers de drogues. J’aimerais repartir vivre en Amérique centrale afin notamment de documenter la situation au Nicaragua, pays qui est en proie à la répression et à la terreur depuis 2018. Je suis également très attiré par le Tibet et l’Himalaya.